Qu’est-ce que la Matrescence ?

Au creux des bras de sa mère, un nouveau-né sommeille. À la commissure de ses lèvres perle une goutte de lait. Sa mère le regarde amoureusement. Au même moment, un tourbillon d’émotions l’habite. Elle vit à cet instant même une profonde période de transformation qui la changera pour toujours : la matrescence.

La matrescence: un nouvel état

La femme qui devient mère baigne dans un nouvel état qui la chamboule sur de nombreux niveaux.

Le corps de la femme n’est plus le même, elle est envahie à chaque instant par de nouvelles émotions, des hormones exercent une influence sur son corps et même son statut social a changé. Toutes ces transitions physique, émotionnelle, hormonale et sociale la submergent. Elle peut se sentir tant perdue qu’euphorique. Et souvent seule. Elle n’a pas de repère, car elle n’était pas préparée à cette puissante transition qu’est la matrescence.

L’origine du mot matrescence

On n’entend en effet pas souvent parler de cette période transformatrice et bouleversante qui survient chez la nouvelle mère. Pourtant, elle est bien réelle.

Dans les années 70, l'anthropologue Dana Raphael, (1926-2016) avait déjà constaté que la culture occidentale n'était pas adaptée à cette transition. Au lieu de reconnaître ce que traverse une femme, l'attention se porte sur le bébé après la naissance.

Dana Raphael a lors inventé le mot matrescence pour cerner la période de transition critique qui marque le passage à la maternité, un peu comme l'enfant qui devient adolescent. Cette contraction des mots « maternité » et « adolescence » réussit à cerner ce concept.

Popularisation du concept de matrescence

Nous devrons toutefois attendre 2017 pour que ce mot émerge de l’anonymat. C’est l’Américaine Alexandra Sacks, psychiatre spécialisée en reproduction, qui met ce mot en lumière. Cette dernière cherchait comment aider les femmes qui la consultaient à la suite de la naissance de leur enfant, désemparées. La médecin ne savait pas comment les aider, car « leur dire qu’elles n’étaient pas malades ne les aidait pas à se sentir mieux ». Elle voulait trouver un moyen de normaliser la transition que vivaient les femmes qui est malheureusement parfois confondue avec la dépression postpartum, réel problème médical.

Alexandra Sacks a alors constaté que les ouvrages médicaux n’abordaient pas la question du temps du « devenir-mère ». Pendant deux ans, elle a mené des recherches. C’est dans les ouvrages de Dana Raphael qu’elle a trouvé le mot qui cerne les changements, les bouleversements et la transition que vit la femme en devenant mère : la matrescence

Comment se préparer à la matrescence

Les femmes ont besoin d’être soutenues et comprises pendant cette période. En effet, sans soutien, les femmes se trouvent alors souvent seules pour affronter les innombrables transformations qu’elles traversent. Les possibilités de souffrir d'épuisement postnatal sont alors accrues. Comme le souligne le Dr Oscar Serrallch, cet état peut durer des années et affecter la capacité de la mère à « se montrer à elle-même, à ses enfants et au monde ».

L’importance du village

Pour répondre à ce besoin profond de soutien, la femme peut s’entourer dès sa grossesse de personnes avec lesquelles elle pourra partager sa maternité. En d’autres mots, la femme pose à ce moment-là les bases du village qui la soutiendra pendant qu’elle vit sa matrescence. Elle pourra ainsi partager toutes les transitions qu’elle traverse, mais aussi les normaliser.

En effet, les femmes vivent des défis similaires, mais ne les partagent pas nécessairement. Le fait de devenir mère s’avère une possibilité d’apprentissage où il n’y a pas de bonnes et de mauvaises réponses.

D’ailleurs, comme le parcours de la maternité ne s'arrête jamais, le village la soutiendra tant physiquement, émotionnellement et spirituellement pendant toutes les étapes de son parcours. Elle replongera dans la puissance ancestrale de parler en toute simplicité avec d’autres femmes.

Le village permet à la femme de se dévoiler dans toute son authenticité en tissant des relations riches qui la nourriront pendant des années.

La préparation à la transformation

La préparation est l'une des clés pour ouvrir la voie à la profonde transition qui s’annonce. En effet, la préparation permet à la femme de s’outiller et de bien s’entourer en vue de ce qui l’attend.

Dresser des listes : C’est un exercice qui peut sembler simple de prime abord, mais qui demande une certaine dose de réflexion et d’introspection. L’idée est de dresser la liste ou les listes de choses simples, mais significatives, que l’on aime faire et qui nous sont essentielles. Ainsi, même après la naissance de son enfant, la femme ne perdra pas de vue ce qu’elle considère comme essentiel. Par exemple, cela peut être de prendre un bon bain chaud, boire un café le matin, lire au moins quelques pages d’un livre chaque jour, ou encore, consacrer du temps à son couple. Du coup, cela permettra à la femme de retrouver ses repères et de prendre soin d’elle-même après l’accouchement en plus de combler ses besoins, qui, il ne faut pas l’oublier, existent encore.

Préparation prénatale: Rien de tel en effet que se préparer avant de plonger dans la maternité. La femme peut alors partager dans un environnement sain et sans jugement ce qu’elle vit et comment elle entrevoit la maternité. Elle peut aussi opter pour une approche plus holistique, ou encore spirituelle.

Rituel: Afin de pleinement incarner la matrescence, une femme peut bénéficier d'une cérémonie ou d'un rite de passage organisé pour elle avant la naissance de son enfant. Cela soulignera avec puissance et douceur ce moment important de sa vie. Elle se sentira alors honorée, vue, entendue et surtout, aimée. Ces sentiments l'accompagneront tout au long des jours, des mois et des années à venir.

En bref, toute cette préparation vise à accueillir le nouvel état d’être mère. C’est un retour à l’essence de la matrescence. En d’autres mots, la femme replonge dans tout ce qu’un être humain à toujours eu besoin, tout en accueillant son nouvel état.

La doula comme alliée à la matrescence

C’est Dana Raphael qui a utilisé le terme « doula » pour la première fois en 1973. Ce mot, d’origine grecque, décrit la femme qui vient à la maison à la naissance de l’enfant, accompagne la mère allaitante, s’occupe des autres enfants et l’aide dans les tâches annexes, dont la préparation des repas, entre autres. Dana Raphael décrit d’ailleurs la doula comme une femme aidante qui « materne la nouvelle mère et l'encourage continuellement ».

La doula est donc une alliée de choix pour vivre en toute plénitude la période transformatrice qu’est la matrescence. Ainsi, la doula offre sa présence, son savoir et son expertise à toutes les étapes du parcours de la femme : avant l’accouchement, pendant l’accouchement, lors du 4e trimestre, et au-delà.

Accueillir la matrescence: un cadeau pour la vie

Lorsqu’une femme devient mère, elle plonge dans l’une des plus grandes expériences humaines. Cette expérience, qui est en fait une transition profonde, s’ancrera dans la femme pour la transformer à jamais. La transformation ne s’arrêtera pas à la naissance de son enfant, mais se poursuivra toute sa vie.

Et lorsque la femme accueille cette transformation – cette matrescence – elle honore sa propre naissance en tant que mère, en parallèle avec la naissance de son enfant. Les deux sont incomplets, en construction, en transition. Lorsque la femme se laisse l'espace pour vivre sa matrescence, cela lui permet aussi de laisser l'espace à son enfant afin qu’il développe sa propre personnalité.

Rappelons-nous qu’il est normal que la femme se sente à la fois triste et heureuse avec la venue au monde de son enfant. L’ambivalence est en effet tout à fait normale dans les relations humaines et dans les transitions développementales. Cela ne fait que partie du processus.

Les nouveaux départs impliquent aussi une fin. Devenir mère, c’est aussi dire au revoir à une partie de soi-même, pendant qu’émerge une nouvelle.

Laissons cette nouvelle partie émerger et révéler toute sa puissance.